Manager les coopérations entre hôpitaux locaux et CHU : défis et responsabilités du directeur D3S

4 novembre 2025

Introduction : Les coopérations, pierre angulaire d’un système en transformation

Les coopérations hospitalières n’ont jamais été aussi stratégiques qu’aujourd’hui pour le secteur sanitaire et médico-social. Face à la complexité grandissante des besoins de santé, aux impératifs d’efficience, et à la pression démographique, la collaboration entre hôpitaux locaux et Centres hospitaliers universitaires (CHU) recompose les dynamiques territoriales, la prise en charge des patients et les organisations internes.

Le directeur D3S, à la tête d’un établissement sanitaire, social ou médico-social, se trouve ainsi au cœur d’enjeux majeurs : comment orchestrer cette collaboration, y trouver sa place et garantir à la fois la qualité de prise en charge et la viabilité des structures ? Les défis sont pluriels, touchant à la fois au management, à la stratégie, à la coordination des équipes, aux ressources humaines et financières, mais aussi à la défense de l’identité des établissements de proximité. Cet article propose une analyse concrète de ces enjeux et des leviers à mobiliser pour un directeur D3S impliqué dans la gestion des coopérations entre hôpitaux locaux et CHU.

1. Pourquoi les coopérations entre hôpitaux locaux et CHU se multiplient-elles ?

La mutualisation des moyens au sein du système de santé français s’est accélérée, portée par plusieurs facteurs :

  • L’évolution démographique : vieillissement de la population, augmentation des maladies chroniques, inégalités de répartition médicale (source : DREES, 2023).
  • La nécessité d’un maillage territorial pour permettre à tous les citoyens d’accéder à des soins sûrs et de qualité, y compris dans les territoires isolés ou sous-dotés.
  • Les impératifs de modernisation et d’efficience : rationalisation des plateaux techniques, mutualisation des fonctions supports, décloisonnement des pratiques (Renaud T., Revue Hospitalière, 2021).
  • Le cadre législatif : les Groupements hospitaliers de territoire (GHT) créés par la loi de Modernisation de notre système de santé en 2016 structurent la coopération (source : Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016).

Actuellement, la France compte près de 135 GHT couvrant la quasi-totalité des hôpitaux publics locaux et des CHU (Ministère de la Santé, 2024), ce qui témoigne du changement de paradigme : on ne travaille plus seul, mais en réseau.

2. Les enjeux stratégiques : trouver l’équilibre au sein du réseau territorial

Pour le directeur D3S, la coopération avec un CHU n’est ni une dilution ni une simple exécution de consignes. C’est un exercice de dialogue permanent :

  • Préserver l’attractivité et l’identité de son établissement, tout en participant aux projets de soins du territoire.
  • Garantir l’accès aux soins grâce à un éventail d’offres (consultations avancées, télémédecine, travail en filière).
  • Éviter la « désertification » médicale et les fermetures d’activités-jeu, en anticipant l’évolution des besoins locaux.

Les conventions de coopération, les projets médicaux partagés (PMP) ou les filières de soins spécialisées sont autant d’outils à piloter. Cela nécessite :

  • Une lecture fine des besoins du territoire : recueil de données épidémiologiques, entretiens avec les élus, associations de patients.
  • Une négociation équitable : préserver une certaine autonomie de décision face au CHU, tout en partageant la responsabilité de résultats.
  • Une stratégie d’influence : au sein des instances du GHT ou des COPIL (comités de pilotage), faire valoir la plus-value de l’établissement local.

Ce positionnement stratégique est d’autant plus important que la tendance nationale constate une concentration des activités médicales spécialisées vers les CHU. Selon la FHF (Fédération Hospitalière de France), en 2022, plus de 60% des séjours complexes étaient orientés vers les grands centres universitaires, contre 49% dix ans auparavant.

3. L’organisation et la gouvernance : coordonner sans centraliser

La gestion des coopérations implique une gouvernance transversale : comité de direction unique, commissions mixtes, réunions de CRUQPC partagées, etc. Le directeur D3S doit veiller à :

  • Clarifier les responsabilités entre établissements (qui fait quoi en termes de pilotage, de suivi des indicateurs, de gestion des risques).
  • Garantir la fluidité de l’information et de la coordination médicale : accueil des internes, organisation des plannings, partage de protocoles, etc.
  • Manager l’interdisciplinarité : impliquer soignants, médecins, cadres, psychologues, travailleurs sociaux dans les groupes de travail.

La réussite des coopérations repose en grande partie sur l’acceptation locale du projet. De nombreux hôpitaux de proximité ont expérimenté une certaine méfiance ou lassitude face à des projets perçus comme imposés. D’après une étude EHESP menée en 2022 (EHESP, enquête inter-hospitalière 2022), seuls 47 % des cadres de santé et 35 % des médecins interrogés estimaient être « suffisamment associés aux décisions » sur les coopérations avec les CHU. Le rôle du directeur D3S est donc d’assurer une communication soutenue, de recueillir les retours du terrain, et de garantir une démarche collective.

4. Le défi humain : mobiliser et accompagner les équipes dans le changement

La mise en œuvre des coopérations génère un impact fort sur les personnels : redéploiement des tâches, modifications des pratiques, parfois sentiment de perte d’autonomie ou d’identité professionnelle.

  • Former et accompagner le changement : proposer des formations, organiser des séminaires inter-établissements, encourager la mobilité interne.
  • Prévenir les risques psychosociaux : attention à la surcharge, à la perte de sens, à la démotivation possible devant la “fusion” progressive des organisations (source : HAS, recommandations 2023).
  • Valoriser les acteurs locaux : favoriser des responsabilités de terrain, reconnaître l’implication dans les projets de coopération, organiser des retours d’expérience partagés.

Le chiffre est éclairant : plus de 20 000 personnels hospitaliers ont changé de service d’affectation dans le cadre des coopérations médicales ou organisationnelles depuis 2017 (DGOS, chiffres consolidés 2023). Accompagner les équipes dans cette transformation, c’est garantir la permanence des missions de base, tout en favorisant l’innovation et l’épanouissement professionnel.

5. Les enjeux médico-économiques : efficacité, qualité et viabilité

Les coopérations visent souvent à mutualiser les plateaux techniques coûteux (imagerie, biologie, pharmacie hospitalière), à optimiser les achats (groupements d’achats), et à maîtriser les coûts de fonctionnement.

  • Analyser le rapport coût-bénéfice de chaque projet : la mutualisation doit dégager de vraies plus-values, et pas seulement engendrer de la complexité supplémentaire. Par exemple, la mise en communauté d'appareils d’IRM entre CHU et hôpital local a permis une économie de 12 à 15 % sur le coût d’exploitation dans certains GHT des Hauts-de-France (source : ARS Hauts-de-France, 2022).
  • Assurer l’efficience et la sécurité : une coopération réussie se mesure aussi par des indicateurs de qualité (taux de réadmission, satisfaction patient, délais d’orientation), publics et partagés à l’échelle du territoire.
  • Anticiper les financements par projets : la répartition des gains issus de mutualisations demeure une source de tension potentielle. Les directeurs doivent donc négocier des clefs de répartition dès l’amont du projet.

Les coûts évités par une coopération bien pilotée sont réels, mais les gains peuvent aussi se concrétiser en termes de maintien d’activités locales. À titre d’exemple, plus de 80 services d’urgences menacés de fermeture ont pu être maintenus sur la période 2018-2022 grâce à des conventions de mutualisation d’astreinte avec des CHU voisins (FHF, rapport 2023).

6. L’innovation et la qualité des soins à l’échelle du territoire

Les coopérations permettent d’accélérer le déploiement de nouveaux modèles de prise en charge :

  • Télémédecine et télé-expertise : lutte contre l’errance médicale, partage d’avis spécialisés en temps réel (en 2023, plus de 5 millions de téléconsultations ont été comptabilisées selon l’Assurance Maladie).
  • Déploiement de filières : filières AVC, oncologie, gériatrie, psychiatrie, etc., alignant les parcours hospitaliers et médico-sociaux, avec coordination entre hôpital local et CHU pour une meilleure continuité des soins.
  • Décloisonnement des prises en charge entre médecine, soins de suite et réadaptation (SSR), EHPAD et domicile, qui limitent les ruptures de parcours, au bénéfice du patient.

Dans la pratique, les GHT ayant une gouvernance dynamique autour du directeur local (D3S ou DH) présentent de meilleurs résultats sur les parcours “dits complexes” (poly-pathologies, personnes âgées dépendantes), avec réduction des durées moyennes de séjour et amélioration du taux de retour à domicile (Rapport de la Cour des Comptes, 2022).

7. Limites, difficultés et perspectives de ces coopérations

Si la coopération est souvent porteuse de progrès, elle n’est pas sans écueils :

  • Difficultés d’intégration des systèmes d’information : convergence des dossiers patients, partage sécurisé des données.
  • Hétérogénéité des cultures professionnelles entre établissements, avec des rythmes, des valeurs et des priorités parfois divergentes.
  • Risque de recentralisation et de “perte de la main” pour les établissements périphériques, si les processus décisionnels ne sont pas assez inclusifs.
  • Manque de ressources humaines qualifiées pour mener des projets de transformation, en particulier à l’échelle locale.

Les exemples des territoires ruraux illustrent la fragilité de l’équilibre : dans certains territoires, la coopération se limite à quelques spécialités, faute de personnel médical suffisant ou d’infrastructures. Pour autant, la dynamique demeure positive dans la grande majorité des cas, d’autant que l’État incite désormais à renforcer les synergies (Cf. Pacte pour la refondation des urgences, 2019 ; rapport Braun, 2023).

Pour approfondir : Clefs de réussite et pistes pour demain

  • Développer le dialogue de gestion entre D3S, chefferies de pôles médicaux et directeurs de CHU.
  • Valoriser la fonction d’interface du directeur d’établissement local, comme acteur clé de la proximité.
  • Miser sur la formation continue à la conduite du changement et la gestion de projet en réseau.
  • Soutenir les initiatives innovantes : plateformes de télésanté, expérimentations de maisons de santé pluridisciplinaires, création d’équipes mobiles inter-établissements.
  • Impliquer les usagers davantage dans les décisions et l’évaluation des coopérations, par des outils de démocratie sanitaire locaux.

La gestion des coopérations entre hôpitaux locaux et CHU est un défi stimulant mais exigeant, qui donne sens au rôle de directeur D3S et constitue un puissant levier d’attractivité pour nos métiers. Plus la capacité à fédérer, écouter et innover grandit, plus les établissements relevés par un directeur engagé pourront assumer leur mission : garantir l’accès à des soins de qualité, adaptés aux besoins du territoire, en s’appuyant sur la force du collectif.

Sources : - DREES, "Panorama des établissements de santé", 2023 - Fédération Hospitalière de France, rapport 2022-2023 - EHESP, enquête sur les coopérations hospitalières, 2022 - HAS, recommandations organisationnelles, 2023 - DGOS, données consolidées, 2023 - Cour des comptes, rapport sur les GHT, 2022 - ARS Hauts-de-France, bilan régional, 2022 - Assurance Maladie, chiffres 2023 - Ministère de la Santé, chiffres 2024