Plongée au cœur de l’organisation d’un EHPAD en France : comprendre le fonctionnement au quotidien

23 septembre 2025

Introduction : Les EHPAD, des acteurs majeurs du soutien à la perte d’autonomie

La population française vieillit. Selon l’INSEE, plus de 1,3 million de Français sont bénéficiaires de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie), et le nombre d’individus âgés de plus de 75 ans passera de 6,3 à 12 millions d’ici 2050 (source : INSEE, Projet POPULATION 2050, 2022). Face à cet enjeu démographique, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) occupent une place pivot au sein du système médico-social français. Comprendre comment fonctionne un EHPAD est un prérequis pour toute personne se projetant dans la direction de ces structures ou souhaitant approfondir ses connaissances du secteur.

Définition et missions d’un EHPAD

Un EHPAD est une structure médico-sociale qui accueille, à temps complet ou partiel, des personnes âgées de plus de 60 ans en situation de perte d’autonomie physique et/ou psychique et ne pouvant plus rester à domicile. Près de 6100 EHPAD sont recensés sur l’ensemble du territoire français en 2023 (source : CNSA, Atlas EHPAD 2023).

  • Mission d’accueil : Héberger des résidents dans un cadre offrant sécurité, soins, vie sociale et accompagnement personnalisé.
  • Mission de soins : Proposer une surveillance médicale continue, assurer la coordination avec les médecins traitants, dispenser des soins infirmiers et paramédicaux.
  • Mission d’animation et de lien social : Prévenir l’isolement, favoriser l’autonomie restante, encourager la participation à la vie collective.

La notion de “dépendance” s’apprécie à travers la grille AGGIR (Autonomie Gérontologique Groupe Iso-Ressources), qui évalue le degré d’autonomie de la personne âgée sur une échelle de 1 (dépendance totale) à 6 (autonomie complète).

L’organisation interne d’un EHPAD : Acteurs, métiers et gouvernance

La direction, garante du projet d’établissement

La direction d’un EHPAD joue un rôle de pilote global et veille à l’application du projet d’établissement, document obligatoire fixant les orientations stratégiques, le projet de soins et le projet d’animation sociale (article L311-8 CASF).

  • Le directeur : chef d’orchestre administratif, financier, médical et RH de la structure. Il est souvent accompagné d’un responsable administratif ou d’un directeur adjoint.
  • L’équipe de direction : collabore souvent avec un médecin coordonnateur (obligatoire depuis 2005), une équipe soignante (infirmier·e·s, aides-soignant·e·s), des agents de service, psychologues, animateurs, etc.

À titre indicatif, un EHPAD “moyen” accueille environ 70 à 90 résidents pour 50 à 70 équivalents temps plein salariés, toutes fonctions confondues (source : Rapport DREES 2023).

L’articulation des fonctions : Soins, vie sociale, logistique

  • Soins médicaux et paramédicaux : encadrés par le médecin coordonnateur et l’équipe soignante. Prise en charge de la dépendance, gestion des prescriptions, coordination avec l’hôpital selon les besoins.
  • Vie sociale : animée par des éducateurs spécialisés, animateurs, psychologues. Organisation d’activités collectives, sorties, ateliers mémoire, partenariats locaux.
  • Logistique et restauration : agents de service, personnel de cuisine et d’entretien. La restauration occupe une part notable du budget (de 7 à 10% selon la CNSA).

Chaque EHPAD dispose également d’un conseil de la vie sociale (CVS), qui réunit résidents, familles, représentants du personnel et direction afin d’assurer la co-construction de la qualité de vie dans la structure.

Le cadre réglementaire et la contractualisation

Les EHPAD relèvent d’un régime d’autorisation et de tarification spécifique, ce qui les distingue des autres établissements sociaux. Leurs modalités de fonctionnement sont encadrées par le Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF).

  • Agrément et convention tripartite : L’ouverture et l’exploitation d’un EHPAD nécessitent une double autorisation du conseil départemental (pour l’hébergement et l’animation) et de l’ARS (pour les soins). Tous les cinq ans, une convention tripartite (structure, ARS, conseil départemental) fixe les objectifs qualité, les moyens humains/minimum de personnel et les dotations financières.
  • Obligations réglementaires : nombre minimal de personnels de soin, accès aux soins 24h/24, gestion des risques, mise en œuvre de la politique qualité. Un rapport annuel d’activité est transmis à l’ARS et au conseil départemental.

En 2022, le ratio minimal réglementaire atteint en moyenne 0,62 personnel pour un résident, tous métiers confondus (source : CNSA, 2022). Ce chiffre reste en deçà des recommandations (au moins 0,8) avancées par certains rapports parlementaires suite à la crise sanitaire.

Le financement des EHPAD et les modalités de facturation

Un EHPAD est financé sur trois compartiments budgétaires principaux :

  1. La section hébergement : facturée aux résidents (et/ou familles), elle couvre l’hébergement, la restauration, l’animation non médicale et le “loyer”. Le coût médian en France est de 2000 à 2200 euros par mois par occupant (source : DREES, 2023).
  2. La section dépendance : financée par le conseil départemental (allocation APA). Le forfait dépendance est calculé selon le niveau de perte d’autonomie (GIR 1 à 6).
  3. La section soins : prise en charge par l’Assurance Maladie, elle couvre les actes médicaux et soignants, rémunère l’équipe infirmière et les interventions médicales externes.

Ce modèle « tripartite » vise à garantir un financement équitable et à éviter la double facturation pour les personnes accueillies. Cependant, le reste à charge reste aujourd’hui élevé et soulève des enjeux d’accessibilité sociale, malgré des aides sociales à l’hébergement et l’APA.

En 2021, près de 45% des résidents d’EHPAD percevaient une aide sociale à l’hébergement (ASH) (source : Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie).

La démarche qualité et la prévention des risques

Depuis la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, les EHPAD sont soumis à une démarche constante d’évaluation interne et externe. L’objectif est d’assurer la bientraitance, la sécurité, la personnalisation des accompagnements et la prévention des risques (maltraitance, chute, infections nosocomiales…).

  • Évaluation interne : conduite par l’établissement tous les cinq ans, elle porte sur la mise en œuvre du projet d’établissement, la satisfaction des résidents, les points de vigilance et d’amélioration.
  • Évaluation externe : assurée tous les cinq ans par un organisme habilité, elle conditionne le renouvellement de l’autorisation d’activité.
  • Mise en place d’une démarche qualité : signalement systématique des événements indésirables, formation continue du personnel, actions de prévention.

La crise sanitaire COVID-19 a mis en lumière les vulnérabilités du secteur, accélérant l’engagement dans la prévention des risques infectieux, le renforcement des dispositifs d’alerte et le développement des coordinations “ville-hôpital” (source : IGAS, Rapport juillet 2021).

L’ouverture sur le territoire et l’inclusion sociale

L’EHPAD n’est pas un “village isolé” : il s’inscrit dans le tissu local et cherche à renforcer son ouverture sur l’environnement. Depuis 2015, la dynamique d’EHPAD dits “hors les murs” ou plateformes de services tend à s’affirmer : accueil de jour, hébergement temporaire, soutien aux aidants, liens avec les associations et les services à domicile.

  • Le conseil de la vie sociale devient un lieu de dialogue normatif et d’implication des représentants des usagers et familles.
  • La coopération avec les communes, CCAS, réseaux gérontologiques (ex : MAIA, PTA), services hospitaliers locaux est encouragée pour fluidifier les parcours.
  • L’animation ouverte (ateliers intergénérationnels, accueil de groupes extérieurs, événements locaux) est un levier contre l’isolement et pour l’ancrage territorial.

La logique actuelle est de favoriser des “passerelles” entre la vie à domicile et la vie en collectif, mais aussi de penser l’EHPAD comme centre de ressources local pour le grand âge (source : CNSA, rapport “EHPAD de demain”, 2022).

Perspectives et grands enjeux pour les futurs directeurs

Diriger un EHPAD aujourd’hui, c’est relever plusieurs défis :

  • Recruter et fidéliser : la pénurie de personnels qualifiés (infirmiers, aides-soignants) met sous pression le niveau de qualité exigé par la réglementation. Le taux de vacance de postes IDE est supérieur à 10% dans certains territoires ruraux (source : FHF, 2023).
  • Maintenir l’équilibre économique : la hausse des coûts (énergie, alimentation), conjuguée à la stagnation des dotations publiques, exige une gestion fine et innovante.
  • Renforcer la qualité de l’accompagnement : personnalisation des parcours de soins, médiation avec les familles, prévention des litiges.
  • Accompagner les évolutions sociétales : attentes croissantes sur la qualité de vie, intégration du numérique, prise en compte du respect de l’intimité et des droits des personnes.
  • Rénover l’image du secteur : après les scandales médiatisés (ex : Orpéa, 2022), reconstruire la confiance passe par la transparence et la valorisation du métier de directeur, du projet d’accompagnement, des équipes au quotidien.

À l’horizon 2030, les projections tablent sur une croissance du besoin en places en EHPAD, mais aussi sur des évolutions de modèle : diversification de l’offre, augmentation de l’accompagnement à domicile, hybridation des solutions (Coliving seniors…).

Ouverture : Vers un EHPAD repensé, de nouvelles compétences pour la direction

Les EHPAD sont aujourd’hui à la croisée des chemins. Ils doivent conjuguer rigueur organisationnelle, excellence de l’accompagnement, dialogue avec les proches et ouverture sur le territoire. Pour celles et ceux qui aspirent à devenir directeur ou directrice de ces établissements, la connaissance fine de leur fonctionnement constitue un socle incontournable. Elle permet de comprendre les marges de manœuvre, d’anticiper les défis, de porter un projet à la fois humain, éthique et efficient — et de contribuer à des réponses innovantes pour le vieillissement de demain.

Pour aller plus loin, nous recommandons la lecture des rapports annuels de la CNSA, les publications de la DREES ainsi que les synthèses de la Fédération Hospitalière de France et du Synerpa, précieuses pour une veille sur les pratiques et tendances du secteur.